Erika Grandjean

Présentation de l’intégration d’Alexis en milieu scolaire ordinaire

Le regard d’un enseignant sur l’expérience d’une intégration dans sa classe est particulièrement intéressant pour enrichir le débat autour de l’intégration des autistes en milieu ordinaire.

Aussi, je vais exposer ici mon expérience qui ne vaut évidemment que comme exemple.

Il n’y a là aucune prétention à la généralisation : je ne parle pas au nom du corps enseignant ni de l’Éducation Nationale, même si mon expérience à pour cadre une classe dans une école publique à Paris.
Pour moi, cette expérience est la preuve que des intégrations réussies sont possibles.

Histoire de l’intégration d’Alexis

Alexis est intégré avec accompagnement depuis le Cours Préparatoire (CP), il est aujourd’hui en CE2 dans ma classe (quatre matinées et deux après-midi par semaine).
L’année de CP d’Alexis s’est faite avec Laurence, une collègue. J’ai pu ainsi voir comment fonctionnaient ces intégrations, connaître un peu Alexis et déjà m’y attacher. J’ai aussi énormément discuté avec Sabine, son accompagnatrice à l’époque. Cette période d’ « observation » a permis de répondre à nombreuses
de mes questions, car les enseignants ne sont absolument pas formés à comprendre l’autisme et ne sont pas non plus habitués à recevoir un adulte dans leur classe (en général synonyme d’inspection).
J’ai observé les progrès étonnants, l’enthousiasme et la volonté d’Alexis Ma décision a été prise rapidement : je prendrai une classe de CE1 l’année suivante
avec Alexis et son accompagnatrice malgré mes peurs (de ne pas être à la hauteur pédagogique, de faire des maladresses qui freineraient l’évolution d’Alexis).
Finalement, j’ai même récidivé puisque nous voilà tous les deux en CE2. Cette intégration est donc un choix et ne m’a pas été imposée.

Alexis et la classe

Alexis est scolarisé dans le groupe scolaire depuis la maternelle. Aussi, beaucoup d’enfants le connaissaient déjà. J’ai donc simplement expliqué la présence de l’adulte accompagnant Alexis, en précisant qu’il avait besoin d’aide, qu’il avait des difficultés à s’exprimer et que ce n’était pas parce qu’il parlait peu qu’il ne fallait pas lui parler. Au début, les enfants avaient du mal à s’adresser directement à Alexis et passaient par Sabine, qui leur demandait de reformuler la question à Alexis. Il a d’ailleurs été très émouvant, quelque temps après la rentrée scolaire, de voir arriver ces mêmes enfants très existés nous dire : « Alexis nous a parlé ! ».

Plus tard dans l’année, j’ai fait lire à la classe un article paru dans le Quotidien des enfants, expliquant l’autisme de façon simple aux enfants.

Les enfants de la classe ont très bien accueilli Alexis, avec des variations en fonction des enfants : certains avec beaucoup de tendresse et un besoin de le protéger, d’autres plus indifférents, d’autres encore avec un peu de jalousie (« Pourquoi Alexis est-il aidé et pas moi ? »). Au fil de l’année de CE1, Alexis s’est réellement fait une place dans la classe.

Tous ont bien saisi son statut et ils ont appris à accepter la différence.

Pour Alexis, les enfants de sa classe sont très importants et, chose nouvelle cette année, il joue régulièrement avec certains à la récréation. Il est aussi très attentif aux absences et aux réactions de ses camarades : la vie de la classe l’intéresse vraiment. Pour la classe, il serait impensable de faire certaines choses quand Alexis n’est pas présent ; il est membre du groupe à part entière.

Alexis et les apprentissages

Les progrès d’Alexis dans ses contacts avec ses camarades de classe sont étonnants. Il a fait les évaluations nationales de CE2 et les a bien réussies (elles ont été faites en classe dans des conditions normales pour Alexis, à savoir avec la présence de Mylène, son accompagnatrice).

Mais ce qui est le plus impressionnant, je trouve, c’est de voir Alexis lever la main pour réciter une poésie ou participer à une saynète sur l’estrade en compagnie d’autres camarades.

Présence de l’accompagnatrice d’intégration

Nous travaillons, je crois, toutes les deux avec un grand respect du travail de l’autre, toujours centrées sur ce qui nous semble être le mieux pour les enfants de la classe (incluant évidemment Alexis). Il s’agit donc d’une collaboration très enrichissante. Sa présence était très rassurante pour moi car l’accompagnatrice connaît parfaitement Alexis.

La collaboration avec l’accompagnatrice s’est concrétisée par une discussion sur les objectifs de l’année. Ainsi, pour Alexis, nous avions ajouté aux objectifs du niveau de classe des objectifs relationnels, d’expression et de langage. De même, au jour le jour, notre collaboration passe par de nombreuses discussions sur les acquisitions, les difficultés ou les réactions d’Alexis. De la même façon qu’avec les toutes les personnes qui entourent Alexis (ses parents et la psychologue superviseur), je sens que je fais partie d’une équipe.

En classe, l’accompagnatrice aide Alexis et adapte, reformule ou simplifie pour lui les consignes afin qu’il soit toujours dans la dynamique de la classe. Elle structure aussi le temps à travers son emploi du temps journalier. Son rôle passe aussi par une annotation des exercices faits à l’écrit pour me permettre d’anticiper sur les difficultés d’Alexis et de comprendre de quelle nature a été l’aide, si aide il y a eu.

Mon rôle

En dehors du fait de m’intéresser à l’évolution d’Alexis et d’être à l’écoute, mon rôle n’a rien de spécial, rien de plus, rien de moins par rapport aux autres enfants.

Par contre cette expérience a grandement enrichi ma vie d’enseignante :

  • Mon regard sur les enfants en difficulté s’est transformé et je crois que je suis bien plus à l’écoute des stratégies d’apprentissage, qui peuvent être très différentes d’un enfant à l’autre.
  • Je me suis aussi rendue compte de l’importance de l’utilisation de la théâtralisation et de l’étude appuyée des illustrations dans les séances de lecture qui sont des moyens d’accès au sens très appréciés par toute la classe.

Bilan personnel

Cette expérience a été très positive pour moi, elle a changé ma vision du handicap et surtout elle m’a persuadée qu’une telle intégration est idéale en permettant une progression spectaculaire aussi bien des apprentissages que de la communication.

Entretien

Avant d’avoir un enfant autiste dans votre classe, quelle vision de l’autisme aviez-vous ?
Je n’avais que l’idée d’un « enfermement intérieur » avec une impossibilité de communiquer. Autant dire que cette vision a énormément évolué depuis.

Pensiez-vous qu’un enfant atteint d’un tel syndrome pouvait être scolarisé en milieu ordinaire ?
Connaissant un peu ce « milieu ordinaire », je l’espérais sans y croire vraiment et sans avoir non plus imaginé de solution.
Telle que nous l’avons vécue, l’intégration accompagnée par des personnes formées me parait être une solution idéale.

Quand vous avez appris qu’un tel enfant allait être dans votre classe, comment avez-vous réagie ?
Avez-vous eu peur ? Avez-vous pensé refuser ? Ou au contraire, avez-vous pensé que ce serait une expérience intéressante ?
Je ne l’ai pas appris par hasard, mais choisi, ce qui me semble être un point important pour la réussite de l’intégration. De plus, j’avais pu observer l’intégration déjà réussie l’année précédente dans la classe d’une collègue. Ceci m’a permis de m’y préparer et de répondre à bien des questionnements tout en aiguisant mon envie de me lancer.
Si peur il y avait, c’était de ne pas être à la hauteur des attentes, de ne pas être suffisamment efficace dans l’écoute des besoins pédagogiques et aussi de faire des maladresses risquant de perturber l’évolution d’Alexis.
Je crois qu’une part de la réticence de certains enseignants à imaginer une intégration accompagnée est la présence adulte de l’auxiliaire dans la classe. Or, la collaboration s’est faite sans jugement, avec beaucoup de respect pour le travail de l’autre et a été très enrichissante.

La présence d’un(e) auxiliaire de vie scolaire formée à l’autisme et encadré(e) par une psychologue spécialisée vous a-t-elle rassurée ?
Complètement. N’étant pas moi-même formée à l’autisme, il est évident que la présence de l’auxiliaire de vie, qui connaissait parfaitement l’enfant et qui pouvait anticiper ses réactions, m’a d’emblée rassurée. Cette collaboration m’a beaucoup intéressée.

Comment s’est passée la rentrée scolaire ? L’enfant que vous avez intégré dans votre classe correspondait-il à ce que vous aviez imaginé ?
La rentrée s’est parfaitement déroulée. Je n’essaye jamais d’imaginer les enfants avant de les connaître. Alexis était différent à sa manière, comme les autres. Je tente de faire en sorte que chacun, avec ses différences, trouve sa place dans la classe. Cela ne marche pas toujours mais cela a très bien fonctionné avec Alexis.
Quant à ce que j’avais imaginé de l’autisme, évidemment ma vision a changée : il y a autant d’autismes que d’enfants autistes, les possibilités d’évolution et d’apprentissages existent vraiment et, grâce à cette année, ma vision de l’autisme est passée d’un terme vague et froid au visage attachant d’un petit garçon que je ne suis pas prête d’oublier.

Au fur et à mesure de l’année, comment s’est passée la collaboration avec l’auxiliaire, la psychologue et les parents ? Avez-vous eu l’impression de faire partie d’une équipe ou d’être au contraire isolé(e) face à un enfant difficile à comprendre ?
Tout s’est toujours bien passé et je suis admirative devant le sérieux de la prise en charge et le travail de Sabine, l’auxiliaire de vie.
J’ai tout à fait eu l’impression de faire partie d’une équipe tout en apprenant beaucoup sur Alexis grâce à Sabine : nous avons beaucoup parlé, échangé. Cela m’a ouvert les yeux, lorsque j’étais très prise par le reste de la classe, sur des difficultés spécifiques d’Alexis mais aussi sur des progrès qu’il était en train de réaliser.
Pour tous les exercices et évaluations faits par Alexis à l’écrit, Sabine annotait dans la marge comment ils avaient été réalisés : avec ou sans aide, quel type d’aide et les difficultés rencontrées par Alexis. Cela m’a permis de me faire une idée assez fidèle au jour le jour de son évolution et d’anticiper un peu sur ses difficultés.
Quand je proposais quelque chose d’un peu difficile pour Alexis, Sabine adaptait la consigne ou la reformulait, ou bien encore travaillait avec Alexis en ne mettant l’accent que sur une partie de la consigne. Mais, Alexis était toujours intégré à la dynamique de la classe.

Comment l’enfant s’est-il comporté dans la classe avec vous et ses camarades ? A-t-il pu avoir accès aux apprentissages ? Si oui de quelle manière ? Comment avez-vous organisé son temps de présence à l’école ?
Alexis venait en classe quatre matinées et un après-midi par semaine. Il assistait ainsi aux séances de piscine, d’EPS et de musique dispensées par des professeurs de la Ville de Paris.
Je m’arrangeais le reste du temps pour qu’Alexis assiste aux enseignements de base : français et mathématiques.
Il a donc eu accès aux apprentissages de la classe de CE1. Par manque de temps, la découverte du Monde et les Arts plastiques n’a pas pu lui être dispensée cette année.

A t-il été gênant par des cris ou des attitudes inadaptées ? Et tout au long de l’année, avez-vous constaté une évolution ?
Non, il n’a pas du tout été gênant.
Nous avions fixé quelques objectifs spécifiques à Alexis en plus du programme scolaire. Notamment dans les relations avec les autres enfants de la classe, le langage… Alexis est allé au-delà de nos espérances.

Avez-vous expliqué dès le début de l’année à vos élèves de quoi était atteint cet enfant et pourquoi il était accompagné par un adulte ou avez-vous attendu les questions de vos élèves pour y répondre ? Comment les enfants ont-ils accueilli ce camarade particulier ?
Alexis est scolarisé dans le groupe scolaire depuis la maternelle. Aussi, beaucoup d’enfants le connaissaient déjà. J’ai donc simplement expliqué la présence de l’adulte accompagnant Alexis, en précisant qu’il avait besoin d’aide, qu’il avait des difficultés à s’exprimer (et que ce n’était pas parce qu’il parlait peu qu’il ne fallait pas lui parler). Les enfants au début, avaient du mal à s’adresser directement à Alexis et passaient par Sabine qui leur demandait de reformuler la question à Alexis. Il a d’ailleurs été très émouvant quelques temps après la rentrée scolaire, de voir arriver ces mêmes enfants très excités nous dire : « Alexis nous a parlé ! »
Plus tard dans l’année, j’ai fait lire à la classe un article paru dans le quotidiens des enfants, expliquant par l’exemple l’autisme de façon simple aux enfants.
Les enfants de la classe ont très bien accueillis Alexis, avec des variations en fonction des enfants : certains avec beaucoup de tendresse et un besoin de le protéger, d’autres plus indifférents, d’autres encore avec un peu de jalousie (« Pourquoi Alexis est aidé et pas moi ? »). Au fil de l’année il est clair qu’Alexis s’est réellement fait sa place dans la classe.
Tous ont bien saisi son statut et ont appris beaucoup dans l’acceptation de la différence. Pour Alexis, les enfants de sa classe sont très importants et, chose nouvelle cette année, il joue régulièrement avec certains à la récréation. Il est aussi très attentif aux absences et aux réactions de ses camarades : la vie de la classe l’intéresse vraiment.
Pour la classe, il serait impensable de faire certaines choses quand Alexis n’est pas présent ; il est membre du groupe à part entière.

Les difficultés d’apprentissage que l’enfant autiste a pu rencontrer vous ont-elles amené à aborder ces apprentissages d’une manière différente ? Cela a-t-il pu aider, le cas échéant, les autres enfants qui rencontraient également des difficultés ?

  • La mise en scène a été un moyen important lors des lectures pour l’accès au sens qui est un but pour tous. J’ai théâtralisé un peu plus mes lectures du fait de la présence d’Alexis et cela a aidé la compréhension pour les autres aussi.
  • Le théâtre par les enfants est une expérience très riche. Il me semble que c’est lors de ces séances qu’Alexis a développé l’envie de « jouer » un texte devant les autres et que nous avons été vraiment étonnées de ses progrès en communication. Ces expériences théâtrales sont un moment de réel travail de la langue orale pour tous, de dépassement de soi pour les plus timides et un moment de plaisir attendu par tous.
  • La « lecture » d’images dans les albums étudiés, un peu plus appuyée, a aussi été un accès au sens.
  • J’ai appris à écouter plus les rythmes de chacun. Mon regard sur les difficultés de certains enfants et leur lenteur de travail s’est adouci, je pense.
  • J’ai volontairement et régulièrement placé un ou deux enfants en difficulté à proximité d’Alexis et Sabine, car j’avais remarqué qu’ils profitaient discrètement des reformulations de consignes par Sabine. Cela leur a permis de se fondre un peu dans le rythme général et de ne pas me demander systématiquement de l’aide, et ainsi ne pas toujours se mettre en échec face à la classe.
  • L’emploi du temps journalier nécessaire à Alexis a été bien utile pour d’autres enfants pour structurer leur propre temps.
  • Il y a bien d’autres exemples que je n’ai pas tout en tête mais les échanges ont été très riches dans les deux sens.

Quel bilan tirez-vous de cette expérience ? Seriez-vous prêt(e) à recommencer avec cet enfant ou un autre enfant atteint du même syndrome ?
Le bilan est très positif et je continue l’année prochaine en montant de niveau avec Alexis.
Je suis prête à recommencer par la suite avec d’autres enfants autistes intégrés de la même manière, avec un accompagnement.
Ceci en sachant qu’une expérience n’efface pas définitivement les questionnements, et que l’expérience suivante sera de toute façon très différente.

Quelles sont les erreurs avez-vous commises et que vous ne referiez désormais pas ?
Je ne sais pas si on peut parler d’erreurs. Il y a eu, c’est certain, des tâtonnements, des essais, des changements de cap, des étonnements devant certaines avancées, beaucoup de doutes aussi, mais tout ce qui a été fait l’a toujours été dans l’optique de faire au mieux pour Alexis et sa classe.
Ces tâtonnements, je peux donc affirmer que je les referais puisqu’ils font partie de la construction de la relation que je noue avec mes élèves.

Si vous deviez choisir une seule anecdote pour faire comprendre à votre interlocuteur cette expérience, laquelle choisiriez-vous ?
Des anecdotes, j’en ai des dizaines, aussi, vais-je choisir la plus récente (elle date d’aujourd’hui même) :
Nous travaillons depuis quelques temps sur la fable de la Fontaine « Le corbeau et le renard » ainsi que sur une pièce de théâtre dérivée. Alexis avait entendu plusieurs fois des enfants de la classe réciter la fable et aujourd’hui il a demandé avec beaucoup d’enthousiasme, en levant la main, de la lire à voix haute. Il s’est levé et l’a lu devant la classe attentive, en ajoutant de lui même des mimiques et un ton complètement adaptés à la situation décrite. Malgré les difficultés de prononciation d’Alexis et le vocabulaire difficile de la fable, celle-ci était devenue très compréhensible grâce à cette mise en scène improvisée.
J’ai ensuite demandé à un autre enfant (plutôt effacé) de venir à son tour dire la fable à condition d’y mettre autant d’expression qu’Alexis : et voilà Théo imitant Alexis pour s’aider à dire la fable !